Zoom sur la sérigraphie
Dernière modification le 25/04/2020
Ouvert en novembre 2019, le Carré d’Antony propose des espaces de travail à des artistes plasticiens professionnels. La spécificité du lieu réside dans son espace dédié à la sérigraphie. Nous vous proposons ici d'en apprendre davantage sur cet Art...
Reposant sur le principe du pochoir, la sérigraphie est un procédé d’impression qui permet la reproduction d’une image. Mais avec ses multiples possibilités innovantes, elle est un moyen d’expression artistique à part entière qui stimule l’imagination créative.
Du latin sericum : soie ; du grec graphein : écrire, c’est la forme la plus ancienne de l’impression inventée en Chine, sous la dynastie de Song (960-1279 avant J.C), puis améliorée par les artistes japonais au XVIe siècle, qui fixent le cliché sur de la soie tendue facilitant le repérage des motifs compliqués et la pose de la peinture avec un pinceau tenu « poil debout ».
Les applications de la sérigraphie varient à l’infini s’étendant des arts graphiques à l’industrie en passant par la décoration. C’est le moyen d’impression classique le plus simple qui permet la création de multiples (images en série) précis et fins.
Un écran en tissu polyester est partiellement bouché par différents traitements manuels ou photochimiques appelés clichages. La fabrication du cliché, étape importante de la sérigraphie, tolère par la suite le tirage de nombreux exemplaires
- Le cliché manuel est appliqué directement sur l’écran avec du papier découpé ou déchiré, du liquide de remplissage, du film de découpe, etc.
- Proche du traitement photographique, le clichage direct est le moins cher et le plus facile à appliquer. De l’émulsion photosensible est étalée sur tout l’écran puis séchée.
Le typon - image imprimée exclusivement en noir et blanc sur film transparent ou calque - est ensuite placé en contact avec le dessous de l’écran et exposé aux rayons UV. Les surfaces protégées par les parties opaques du typon sont solubles à l’eau et laissent, après rinçage, une image positive transformée en cliché prêt à imprimer.
L’encre est ensuite déposée sur le dessus de l’écran, puis pressée à travers les parties ouvertes à l’aide d’une raclette. Ce qui produit une image sur le support d’impression placé sous l’écran.
Chaque couleur imprimée réclame un cliché et un écran différents. Cette contrainte technique loin de freiner la créativité, stimule au contraire le travail artistique. L’effort inventif consiste donc à créer un effet maximal avec un minimum de clichés.
Cliché « Les petites Nanas » de Caroline Montigneaux-Burdinat
Visuel d'illustrations : séance d'impression au Carré d'Antony (à droite, Annalisa Papagna, à gauche Anna Radecka)
Dans les années 50 et 60, la sérigraphie connaît une très grande popularité avec l’avènement de deux mouvements artistiques qui remettent en question la notion de l’art dans la société contemporaine, l’OP(tical) Art et le Pop(ular) Art
Adoptant une nouvelle attitude vis-à-vis de l’art abstrait, l’OP Art (ou le Cinétisme) prône une abstraction pure et l’illusion d’optique par prédilection. Bannissant toute émotion, les incitations visuelles abstraites ont pour objectif de troubler l’œil du spectateur. Par ses formes simples, l’art géométrique permettra à la multiplication d’une œuvre première considérée comme une matrice.
Vasarely (1906-1997), l’une des figures de l’Op Art, annonce la fin de l’œuvre unique, proclame l’édition de « multiples » : l’Art repose désormais sur la connaissance d’une possibilité de recréation, multiplication et expansion.
Victor Vasarely (1906-1997), Folklore Planétaire, 1969, sérigraphie sur papier - 63 x 63 cm
Avec l’héliogravure et la lithographie, la sérigraphie participe à l’expansion des œuvres d’art accessibles à tous. Le clichage photographique lui permet d’acquérir une précision dans le détail qui lui fait défaut. Le procédé a désormais la possibilité d’imprimer des centaines d’’exemplaires sans détériorer le cliché.
Victor Vasarely (1906-1997), Zett-Keck, 1966, sérigraphie sur papier - 67 x 67cm
L’Amérique et la qualité de vie américaine ont servi de base à la naissance du Pop(ular) Art qui ouvre la voie au dialogue entre la culture « élitiste » et les langages populaires. Le credo est le suivant : l’Art jaillit directement de la vie.
Les artistes Pop s’inspirent de l’esthétique de la consommation de masse, bousculent le statut dominant de la peinture en expérimentant des matériaux non conventionnels empruntés du cinéma, de la bande dessinée, de la publicité. Leur vocabulaire est succinct : simplicité graphique, reproduction en série, iconographie puisée dans les symboles de la culture populaire.
Andy Warhol (1928-1992), Blue Liz as Cleopatra (détail), 1963, sérigraphie sur toile- 208,5 x 165 cm, NY The AndyWarhol Foundation Inc.
Le mouvement n’a pas de chef de file mais Andy Warhol (1928-1992), figure de proue, s’illustre par son esthétique de sérialité inspiré du mécanisme des slogans publicitaires.
Andy Warhol (1928-1992), Red Elvis, 1962, sérigraphie sur toile- 175 x 132 cm, NY The AndyWarhol Foundation Inc.
Ayant trouvé dans la sérigraphie son mode d’expression idéal, il se concentre sur des thèmes inspirés des mythes du « star system » (Marylin Monroe, Liz Taylor, Elvis Presley,…), des produits de grande consommation (Coca-Cola, Campbell’ soup,…) ou de la mort évoquée dans la série Disaster (accidents de la route, émeutes raciales, chaise électrique, etc.)
Andy Warhol (1928-1992), Big électric chair, 1967, sérigraphie sur toile- 137 x 185 cm, NY The AndyWarhol Foundation Inc.
Loin d’être une pratique du ready made, la sérigraphie permet à Andy Warhol toute liberté créatrice tout en laissant le contrôle du rendu de ses images, marque de son style.
Andy Warhol (1928-1992), 210 Coke bottles (détail), 1962, sérigraphie sur toile- 208 x 267 cm, NY The AndyWarhol Foundation Inc.
"L’avenir de la sérigraphie n’est limité que par le projet de celui qui l’utilise et certains sauront toujours lui trouver de nouvelles utilisations. Au contraire des autres procédés d’impression artistique, … , la sérigraphie en est encore à se construire une tradition. " - Brad Faine, artiste et sérigraphe anglais (auteur de « The new guide of screen printing »)
Hybridation Quatre fois Quatre fleurs sauvages, propos de Jean-Claude Anglade, artiste plasticien du Carré d’Antony
Tout mode de production de l’image impose ses propres contraintes à l’acte créateur. Aussi, la mise en œuvre des moyens utilisés par l’artiste fait partie intégrante de sa démarche artistique. Celui-ci, en quête d’images, confie aux processus qu’il met en place le soin de lui indiquer les pistes possibles à suivre. À lui de faire alors ses choix, d’opérer ses renoncements, d’accepter ou de refuser les chemins offerts à ses recherches.
La sérigraphie est un médium favorable à cette expérimentation. Sa haute technicité implique une très grande rigueur dans l’anticipation des effets produits par les passages successifs de couleurs. Mais paradoxalement, cette exigence jamais satisfaite conduit en même temps à l’ouverture vers l’inconnu. Le dialogue sans cesse enrichi avec l’outil de reproduction (l’écran) demande une attention aigüe. Le créateur doit bien sûr rester maitre de son projet, mais doit aussi faire preuve d’humilité et de curiosité face aux surprises réservées par ce procédé.
Parmi les divers moyens de production ou de reproduction d’une image, la sérigraphie est proche du geste du peintre, comme la lithographie dont elle est la lointaine héritière. C’est la main qui dépose la couleur, c’est l’intuition du résultat qui guide le trait.
Là où la multiplicité des solutions proposées par l’outil numérique représente un défi pour la démarche créative, les nécessaires contraintes d’une pratique plus artisanale sont l’occasion d’un retour aux fondamentaux de l’art visuel : simplification des formes, répétition de motifs, stratifications des interventions plastiques… Mon projet est donc de soumettre mes images digitales, conçues au départ pour faire l’objet d’une impression numérique (digigraphies), aux différentes contraintes de ce médium mis à disposition par l’atelier du Carré d’Antony.
Pour cela, j’ai adopté une écriture graphique permettant la conversion de ces images en quatre passages de couleur : cyan, magenta, jaune, noir. Le recours à des trames de très gros points présente l’avantage d’éviter un rendu trop photographique. L’imprécision obligatoire des pastilles de couleurs obtenues et le décalage aléatoire de leur superposition, provoque une mutation de l’image vers un jeu optique assez libre. Le sujet de ces images, (hybridation de quatre fleurs sauvages : Parnassié des Marais, Tulipe de celse, Comaret des marais, Ancolie) doit rester lisible tout en bénéficiant de ce nouvel état graphique. Comme élevées au cœur d’un jardin botanique, ces fleurs connaissent ainsi une nouvelle hybridation.